Comment & analysis

Un mauvais vent pour les contrôles de transferts d’armes de l’UE

21 November 2014 Roy Isbister

Selon Roy Isbister, ce n’est pas seulement la crédibilité de la France qui est menacée par la manière dont le pays a géré la vente de deux porte-hélicoptères d’assaut Mistral à la Russie, mais la crédibilité de la Position commune de l’UE sur les transferts d’armes toute entière. 

En 2011, la France a accepté une offre de contrat pour fournir deux porte-hélicoptères d’assaut amphibies de type Mistral à la Russie, avec la possibilité d’en faire suivre deux autres. L’affaire était déjà polémique à l’époque, mais lorsque la Russie a annexé la Crimée au début de cette année, de nombreux pays de l’UE y ont exprimé une forte opposition, ainsi que le Japon et les États-Unis.

La livraison du premier bateau, le Vladivostok, est toujours en attente, mais pour l’instant aucune décision de l’annuler n’a été prise, et des marins russes continuent de s’entrainer à son bord dans le port français de Saint-Nazaire. La Russie a fait savoir qu’elle chercherait à se faire compenser financièrement en cas d’annulation et que la France ne pourrait pas transférer ou déployer ces bateaux ailleurs puisque la Russie a contribué à leur construction et a ainsi son mot à dire quant à leur avenir. Au delà de l’impact financier direct qu’aurait cette annulation, la France s’inquiète des possibles conséquences que celle-ci pourrait avoir sur sa réputation de « fournisseur fiable » de matériel militaire.

Pourtant, les relations entre la Russie et l’OTAN sont au plus bas depuis la fin de la Guerre froide et risquent de se détériorer davantage, la situation en Ukraine ne montrant pas de signe de résolution et les rapports de presse suggérant de nouveaux déploiements russes dans l’est du pays. Par ailleurs, la France est sujette à une pression considérable de la part des alliés pour annuler la vente.

Le président français François Hollande a annoncé en septembre que les bateaux ne seraient livrés qu’à condition qu’un cessez-le-feu en Ukraine de l’est ainsi qu’une solution politique soit mis en place, mais l’affaire est bel et bien toujours d’actualité. À la fin de la dernière conférence du G20 en Australie, le président Hollande a déclaré : « Je prendrai ma décision en dehors de toute pression, d’où qu’elle vienne, et en fonction de deux critères, les intérêts de la France et l’appréciation que j’ai de la situation ».

Ce qu’il s’est cependant gardé de mentionner, c’est qu’il est sous l’obligation légale de baser sa décision sur la Position commune de l’UE 2008/944/CFSP, un instrument légal qui établit les règles que les États membres de l’UE doivent suivre au moment de prendre la décision d’exporter, ou non, des armes. Parmi ces règles se trouve l’obligation de refuser de transférer du matériel s’il y a clairement un risque que ce matériel soit utilisé à des fins de répression interne ou pour affaiblir la paix, la sécurité et la stabilité régionale, et de prendre en considération les risques qu’un transfert puisse mettre en danger la sécurité nationale de pays alliés ou amis. L’omission du président Hollande n’a surpris personne; cependant, durant les cinq années où cet accord a été d’actualité, quasiment aucune référence n’a été faite à la Position commune, que ce soit en France ou à l’étranger.

La nouvelle note du GRIP et de Saferworld, « Au mauvais vent : Comment la vente des Mistral à la Russie sape les efforts de l’Union européenne », se penche sur l’affaire des Mistral et la manière dont l’accord a été convenu et débattu en ignorant les obligations légales auxquelles la France et les autres États membres de l’UE sont soumis.  La note examine l’accord des Mistral de sa création à nos jours, la manière dont il a été soutenu et critiqué et ce en quoi cela reflète de sérieux problèmes dans le fonctionnement de l’UE dans la pratique.  La Position commune a été conçue pour assurer la responsabilité et promouvoir la convergence des États membres par rapport aux transferts d’armes. Lorsqu’ils ignorent la Position commune et ne respectent pas leurs obligations légales, en particulier dans des cas stratégiquement importants et/ou médiatisés, les États membres affaiblissent la crédibilité fondamentale du système de l’UE, en particulier dans sa capacité à promouvoir un système légal de contrôles des transferts d’armes au niveau international.

Il n’est pas trop tard, cependant, pour rétablir la situation. Il est toujours temps pour le président Hollande, et il y est en effet obligé, de considérer la question de cette vente par rapport aux critères de la Position commune, et de prendre une décision en fonction de ceux-ci.

D’autres États membres de l’UE devraient également y prendre part en conduisant et en publiant leurs propres évaluations, comparant l’accord de vente à la Position commune. Les parlements des États membres de l’UE, notamment le parlement français, devraient également assumer rôle, en questionnant leurs gouvernements respectifs au sujet de leurs positions sur cette vente, dans le cadre de la Position commune.   

Mais une problématique plus large se pose également pour les États membres de l’UE : celle de prouver la force de l’UE sur le long terme. Dans ce contexte, ils devraient se réengager publiquement à appliquer la Position commune à toutes les décisions d’exportations sous licence, indépendamment de la nature ou de l’envergure du transfert proposé, et d’assurer que les débats sur les exportations d’armes et les décisions individuelles quant aux licences soient établis en des termes qui fassent référence et reflètent leurs obligations légales. Et encore une fois, s’ils ne le font pas de leur propre initiative, cette tâche incombe aux parlements et plus largement à l’électorat, qui doivent les tenir responsables d’agir de manière conforme à leurs obligations.

Roy Isbister est le chef de la division des armes chez Saferworld.

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